Assitan and the world
TIRAILLEURS SÉNÉGALAIS :
LE DEVOIR DE MÉMOIRE
Janvier 2023
« Qu'elle soit collective ou individuelle, la mémoire est intentionnelle : elle va chercher dans le passé les faits qui donnent forme à ce que l'on éprouve au présent. » - Boris Cyrulnik
Vous en avez sûrement entendu parlé, Omar Sy et Alassane Diong sont actuellement à l'affiche du film Tirailleurs.
Ce projet, réalisé par Matthieu Vadepied (Intouchable), revient sur l'histoire réelle mais assez méconnue, des Tirailleurs africains. Et, plus particulièrement celle des hommes que l'on appelait « Tirailleurs sénégalais ».
Alassane Diong et Omar Sy - Tirailleurs
Synopsis :
Bakary Diallo rejoint, en tant que volontaire, l'armée française afin de retrouver son jeune fils Thierno ayant été enrôlé de force pendant la Première Guerre mondiale. Le père et le fils, originaires du Sénégal, quittent leur pays afin de se battre pour la France, aux côtés d'autres Tirailleurs sénégalais.
Entre champ de bataille et vie sur le camp, nous découvrons le nouveau quotidien des deux protagonistes. Réussiront-ils à garder leur lien de parenté secret ? Arriveront-ils à rester unis ? Sortiront-ils indemnes de cette guerre ?
Bande-annonce - Tirailleurs - 2023
J'aimerais profiter de la sortie de ce film pour revenir plus en détail sur ces Tirailleurs sénégalais de l'armée française. Je vous propose donc de retracer leur histoire grâce à diverses vidéos explicatives de courtes durées, mais également grâce au récit d'événements assez peu connus qui se sont déroulés durant les deux Grandes Guerres mondiales.
Mais tout d'abord, définissions ensemble le terme de « Tirailleurs africains » :
Cette appellation désigne les soldats issus des troupes coloniales françaises situées sur le continent africain.
On distinguait ces tirailleurs selon leur zone géographique :
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En Afrique du Nord : les tirailleurs Algériens / Marocains / Tunisiens
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En Afrique Subsaharienne : Les tirailleurs Sénégalais / Malgaches / Somalis
Il est important de noter que les « Tirailleurs sénégalais », ne provenaient pas tous du Sénégal.
Beaucoup de combattants venaient de pays voisins d'Afrique de l'Ouest et même de l'Afrique de l'Est et Centrale (Mali, Burkina Faso, Guinée...). Cependant, c'est bien au Sénégal que fut créé le premier bataillon, puis régiment de tirailleurs subsahariens.
Dans cet article, j'ai fait le choix de me concentrer sur les deux Guerres mondiales, mais il est également nécessaire de savoir que ces Tirailleurs ont combattu lors de nombreux autres conflits tels que la guerre d'Indochine ou d'Algérie.
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Les Tirailleurs sénégalais et la Première Guerre mondiale
Souvent assimilés qu'à la Seconde Guerre, les Tirailleurs sénégalais ont également joué un rôle actif dans la défense et la reconquête des territoires français lors de la Première Guerre mondiale.
Entre 1914 et 1918, ce sont environ 135 000 combattants qui ont été déployés en Europe.
Beaucoup seront blessés ou invalides et 30 0000 d'entre eux prendront la vie...
Vidéo explicative - Les Tirailleurs sénégalais -
Première Guerre mondiale
Je souhaiterais aussi revenir sur une bien triste histoire dont je n'avais jamais entendu parlé : « Le Titanic à la française ».
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12 janvier 1920 : Récit d'un naufrage méconnu
Contexte : À l'issue de la première Guerre, de nombreux tirailleurs sont encore en France, car réquisitionnés ou se remettant de leurs blessures...
Deux ans après le conflit, une centaine de combattants sont enfin autorisés à regagner Dakar. Ils embarqueront à Bordeaux, sur un paquebot nommé Afrique, le 9 janvier 1920.
Malheureusement, la grande majorité de ces hommes et des 400 civils à bord du navire n'atteindront jamais les côtes africaines. Le bateau fera naufrage trois jours plus tard...
192 Tirailleurs périront noyés dans l'Océan Atlantique sans avoir eu la chance de revoir leur terre natale et leurs proches...
Seulement 34 passagers survivront, dont 7 Tirailleurs sénégalais.
Vidéo explicative - Naufrage du 12 janvier 1920
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Les Tirailleurs sénégalais et la Seconde Guerre mondiale
Durant la Seconde Guerre mondiale, 179 000 Tirailleurs sénégalais seront mobilisés pour combattre, dont 40 000 en métropole. Cependant, tout comme lors de la Première Guerre, cette mobilisation n'était pas forcément volontaire... De nombreux jeunes hommes furent enrôlés de force dans les rangs de l'armée française.
Souvent opposés à des allemands mieux équipés, de nombreux tirailleurs furent capturés et envoyés dans des camps de prisonniers. D'autres n'atteignirent même pas les camps ennemis.
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20 Juin 1940 - Chasselay (France) : Le massacre par l'ennemi
Cette date et ce lieu constituent une page sombre de l'histoire des Tirailleurs sénégalais du 25ème régiment. Ces soldats seront lâchement abattus à la mitraillette par les soldats nazis. La raison de ce massacre ? Il a été rapporté que les allemands souhaitaient, en réalité, éviter la présence d'hommes noirs venants d'Afrique sur son territoire. Je vous laisse deviner pourquoi...
Une cinquantaine de tirailleurs ont donc perdu la vie à cause du racisme de l'ennemi.
Vidéo explicative - Tuerie de Chasselay - Juin 1940
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Retour sur le continent africain : entre fausses promesses et trahisons
En plus du volontariat et des enrôlements de force, beaucoup de promesses ont été faites aux populations africaines, afin d'inciter les jeunes hommes à combattre pour la France durant la Guerre.
Voici certains arguments qui étaient mis en avant :
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« Engagez-vous et vous obtiendrez l'égalité et la citoyenneté française »
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« Engagez-vous et vous ne serez plus considérés comme des indigènes »
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« Engagez-vous et vous obtiendrez des indemnités financières à vie »
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« Engagez-vous et nous vous considèreront comme des héros de la nation française ! »
De bien belles paroles, mais que vaut réellement la parole de l'Homme ?
Surtout en temps de guerre...
Novembre 1944 - France : des Tirailleurs sénégalais, prisonniers de Guerre par les allemands, viennent d'être libérés.
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1er décembre 1944 - Le crime militaire de Thiaroye
De retour à Dakar, les combattants réclament leur solde de captivité qui leur était dû.
Les revendicateurs seront rassemblés par l'armée française, puis exécutés...
Officiellement, le bilan fait état de 35 morts et tout cela, suite à une rébellion des Tirailleurs. Cependant, officieusement, il s'agirait plutôt de plusieurs centaines de personnes tuées... Les archives révèleront également que ce crime de masse avait bien été prémédité.
Ces hommes sont donc décédés pour avoir revendiqué leurs droits, selon les promesses qui leur avaient été faites ...
Vidéo explicative - Massacre de Thiaroye - 1944
Pour revenir aux fausses promesses faites :
Ce n'est qu'en 2016 que François Hollande, alors Président de la République, s'engagera à faciliter l'octroi de la nationalité française aux Tirailleurs sénégalais. En 2017, ce sont 28 anciens combattants, dont 18 vivants dans un foyer social à Bondy (93), qui ont pu être naturalisés.
Jusqu'au début de cette année, ces anciens combattants étaient également obligés de vivre la moitié de l'année en France pour percevoir leur pension. Le jour de la sortie du film Tirailleurs, nous apprenions une réforme de la loi concernant la pension des Tirailleurs sénégalais.
En 2023, soit presque 80 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce sont donc officiellement 37 anciens combattants, qui pourront ENFIN choisir sur quel territoire passer le reste de leur vie, tout en bénéficiant de leur minimum vieillesse (environ 950€ par mois).
Vidéo explicative - Que sont devenus les tirailleurs - 2023
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Aujourd'hui : Le devoir de mémoire
Naufrage en 1920, Chasselay en 1940 et Thiaroye en 1944...
Ces événements peuvent nous paraitre bien lointains aujourd'hui, mais il est important de ne pas les oublier.
Pour revenir au film, je remercie le réalisateur de Tirailleurs, et toute son équipe, pour avoir mis en lumière un sujet qui n'aurait jamais dû se perdre dans l'obscurité.
En toute honnêteté, il y avait énormément de choses que je ne savais pas sur l'histoire des Tirailleurs africains. Par conséquent, ce film m'a réellement donné l'envie d'en savoir plus et je suis certaine de ne pas être la seule ! Je suis rassurée de savoir que les prochaines générations auront probablement beaucoup plus de connaissances et ressources documentaires sur le sujet.
Très récemment, j'ai également appris qu'un monument aux Héros de l'Armée noire a été construit en 1924, à Bamako, afin de rendre hommage aux combattants de la Première Guerre mondiale. Toujours à Bamako, une place à l'égard des Martyrs de Tiaroye a également été bâtie. Je me rends compte que j'aurais pu m'y rendre, en 2020, lors de mon voyage au Mali si seulement je m'étais mieux informée...
Monument aux Héros de l'Armée noire - Bamako (Mali)
Désormais, lorsque je vois les visages de tous ces soldats, à travers les archives, je me demande systématiquement ce qui leur est arrivé :
Pour quelles raisons se sont-ils engagés dans l'armée ? Étaient-ils volontaires ou était-ce par la contrainte ? Ont-ils pu regagner leur terre natale après la guerre ? Comment sont-ils décédés ? Quelles étaient leurs dernières pensées ? Ont-ils été heureux à certains moments de leur vie ?
À toutes ces personnes qui ont perdu la vie, sur terre ou en mer, pour avoir voulu rendre leur famille fière, pour avoir espéré vivre dans de meilleures conditions, sous la contrainte ou par loyauté, je vous souhaite de reposer en paix, et que la douleur de vos proches soit apaisée.
Je ne vous oublierai pas,
Car maintenant, je sais...
Assitan